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Sénégal: «Les futurs procès seront les procès de cette culture de violence policière»
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C'est l'une des grandes annonces de la déclaration de politique générale d'Ousmane Sonko : la semaine dernière, le Premier ministre sénégalais s'est engagé à mettre prochainement sur la table des députés, un projet pour abroger la loi d'amnistie. Le texte, adopté en mars 2024 par l'ancienne majorité, couvre les faits relatifs aux trois années de violences politiques que le pays a connu entre 2021 et 2024, et qui avait fait des dizaines de morts. Le gouvernement a également annoncé que cinq milliards de francs CFA (7,6 millions d'euros) sont destinés à l'indemnisation des victimes. Durant cette période, la société civile sénégalaise s'est organisée pour recenser les morts dans les manifestations. Notamment le média associatif La Maison des Reporters, qui n'a pas attendu le gouvernement pour collecter et publier sur ses réseaux sociaux des dizaines de récits de victimes. Moussa Ngom est le fondateur de la Maison des Reporters. Il est l'invité de Sidy Yansané.
RFI : Comment accueillez-vous cette annonce d'un projet d'abrogation de la loi d'amnistie par le Premier ministre Ousmane Sonko ?
Moussa Ngom : Il faut comprendre que pour les régimes précédents, il y a toujours eu une préoccupation sociale et politique majeure dans les premiers mois au pouvoir. Donc, c'était un impératif pour ce régime-ci de s'occuper de la reddition des comptes mais aussi de faire la lumière sur ce qu'il s'est passé entre 2021 et 2024. Et je pense que l'intention est déjà claire parce qu'on parle d'une abrogation partielle, c'est-à-dire qu’elle ne reviendra pas sur tout, mais on cible notamment les crimes de sang, les meurtres et les tortures qui ont été infligées durant cette période. Mais il y aura encore un grand chantier pour la suite, avec toutes les procédures judiciaires à enclencher.
Justement, votre média La Maison des Reporters a largement documenté et relayé les témoignages des victimes des violences pré-électorales. Malgré cette amnistie qui a permis, il faut le dire, un apaisement certes tardif entre Ousmane Sonko et l'ancien président Macky Sall, il était important de mettre des noms et des visages sur les victimes ?
Tout à fait. Et on l'a fait en deux temps. Il y a d'abord eu l'initiative Cartogra Free Sénégal, dont j'ai été l'initiateur, qui a rassemblé d'autres journalistes et des personnes d'autres horizons qui se sont joints à nous pour recenser des gens, fournir un bilan beaucoup plus exhaustif des victimes de cette répression des manifestations pour les personnes décédées. Mais c’est également un travail de documentation qu'on a voulu faire sur les cas de torture. On parle beaucoup de la responsabilité des donneurs d'ordres, mais il ne faut pas oublier que les futurs procès qui auront lieu seront le procès de cette culture de la violence policière qui existe depuis l'époque coloniale au Sénégal et qui a persisté à travers les régimes. Ce sera aussi le moment de faire en sorte que les exécutants, les éléments des forces de l'ordre qui ont agi dans la continuité des abus qu'on a toujours connus, puissent répondre de leurs actes. Donc, c'était important pour nous d'effectuer ce travail.
La société civile sénégalaise s'est fortement mobilisée durant ces violences et ces tensions électorales. Et pour cette campagne d'identification des victimes, vous avez fait référence à l'initiative Cartogra Free Sénégal. Détaillez-nous ce qui vous a poussé à lancer cette initiative ?
Il y avait déjà une opacité autour du chiffre exact du nombre de morts, on entendait des bilans qui étaient contradictoires ou sous-estimés. Il était nécessaire pour nous, en tant que journalistes, de ne pas nous limiter à uniquement reprendre la parole officielle, mais aussi de faire en sorte que les Sénégalais puissent connaître quelle était leur histoire, qu'ils puissent se dire qu'en réalité, « ça aurait pu être moi, ça aurait pu être mon frère, ça aurait pu être ma sœur ». Et aussi faire en sorte que ce soit en 2050, en 2060, en 2070, qu'on n'oublie pas qu'il s'est passé des choses d'une telle gravité au Sénégal. C'était ça l'idée de Cartogra Free Sénégal. Et c'est pour cela qu'on a rassemblé plus de 40 journalistes et des ingénieurs de données, des statisticiens qui nous ont aidés également à analyser les données obtenues, les résultats sur les certificats de décès, les témoignages, par rapport aux circonstances de la mort, ce qui a permis de révéler, entre autres, que la majorité avait été tuée par balle, par exemple. Et ça, c'était un travail d'histoire, un travail de mémoire, un premier pas pour leur rendre justice.
Cela vous a permis de recueillir les histoires de certaines de ces victimes. Et certaines de ces histoires font froid dans le dos. Lesquelles, selon vous, illustrent le mieux le niveau de ces violences électorales ?
Il y a les tortures suivies de mort de la victime. Il y a aussi des personnes qui sont les plus jeunes parmi les décomptes que nous avons eu à faire. Une lycéenne qui voulait juste aller voir ce qu'il se passait dans le cadre de ces manifestations, qui a été touchée par une balle. Il y a également des cas qui ont été vraiment très tristes, d'autres qui ont traumatisé des familles entières. Et ça, je pense aussi, c'est important. On parle beaucoup de dédommagement financier, mais les victimes sont marquées sur le plan émotionnel avec les personnes qui ont été touchées par balle, qui ont perdu un membre ou en tout cas qui ont perdu leur travail, qui ont été marquées d’une telle manière que ça les handicape dans le cadre de leur vie. Il y a aussi tout ce qui est l'aspect émotionnel par rapport aux tortures, aux sévices qui ont été subis, qui ne sont pas oubliés. Et on s'en rend compte à chaque fois qu'on rencontre des victimes. Elles n'arrivent pas à surmonter et je ne pense pas qu'elles savent qu'il est impératif pour elles de se tourner vers des spécialistes. Il faut aussi que l'État fasse en sorte de les orienter, que ce choc émotionnel-là puisse être surmonté. Il y a la justice qui pourra faire l'affaire, mais il faut aussi des mesures d'accompagnement assez réfléchies.
108 에피소드
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C'est l'une des grandes annonces de la déclaration de politique générale d'Ousmane Sonko : la semaine dernière, le Premier ministre sénégalais s'est engagé à mettre prochainement sur la table des députés, un projet pour abroger la loi d'amnistie. Le texte, adopté en mars 2024 par l'ancienne majorité, couvre les faits relatifs aux trois années de violences politiques que le pays a connu entre 2021 et 2024, et qui avait fait des dizaines de morts. Le gouvernement a également annoncé que cinq milliards de francs CFA (7,6 millions d'euros) sont destinés à l'indemnisation des victimes. Durant cette période, la société civile sénégalaise s'est organisée pour recenser les morts dans les manifestations. Notamment le média associatif La Maison des Reporters, qui n'a pas attendu le gouvernement pour collecter et publier sur ses réseaux sociaux des dizaines de récits de victimes. Moussa Ngom est le fondateur de la Maison des Reporters. Il est l'invité de Sidy Yansané.
RFI : Comment accueillez-vous cette annonce d'un projet d'abrogation de la loi d'amnistie par le Premier ministre Ousmane Sonko ?
Moussa Ngom : Il faut comprendre que pour les régimes précédents, il y a toujours eu une préoccupation sociale et politique majeure dans les premiers mois au pouvoir. Donc, c'était un impératif pour ce régime-ci de s'occuper de la reddition des comptes mais aussi de faire la lumière sur ce qu'il s'est passé entre 2021 et 2024. Et je pense que l'intention est déjà claire parce qu'on parle d'une abrogation partielle, c'est-à-dire qu’elle ne reviendra pas sur tout, mais on cible notamment les crimes de sang, les meurtres et les tortures qui ont été infligées durant cette période. Mais il y aura encore un grand chantier pour la suite, avec toutes les procédures judiciaires à enclencher.
Justement, votre média La Maison des Reporters a largement documenté et relayé les témoignages des victimes des violences pré-électorales. Malgré cette amnistie qui a permis, il faut le dire, un apaisement certes tardif entre Ousmane Sonko et l'ancien président Macky Sall, il était important de mettre des noms et des visages sur les victimes ?
Tout à fait. Et on l'a fait en deux temps. Il y a d'abord eu l'initiative Cartogra Free Sénégal, dont j'ai été l'initiateur, qui a rassemblé d'autres journalistes et des personnes d'autres horizons qui se sont joints à nous pour recenser des gens, fournir un bilan beaucoup plus exhaustif des victimes de cette répression des manifestations pour les personnes décédées. Mais c’est également un travail de documentation qu'on a voulu faire sur les cas de torture. On parle beaucoup de la responsabilité des donneurs d'ordres, mais il ne faut pas oublier que les futurs procès qui auront lieu seront le procès de cette culture de la violence policière qui existe depuis l'époque coloniale au Sénégal et qui a persisté à travers les régimes. Ce sera aussi le moment de faire en sorte que les exécutants, les éléments des forces de l'ordre qui ont agi dans la continuité des abus qu'on a toujours connus, puissent répondre de leurs actes. Donc, c'était important pour nous d'effectuer ce travail.
La société civile sénégalaise s'est fortement mobilisée durant ces violences et ces tensions électorales. Et pour cette campagne d'identification des victimes, vous avez fait référence à l'initiative Cartogra Free Sénégal. Détaillez-nous ce qui vous a poussé à lancer cette initiative ?
Il y avait déjà une opacité autour du chiffre exact du nombre de morts, on entendait des bilans qui étaient contradictoires ou sous-estimés. Il était nécessaire pour nous, en tant que journalistes, de ne pas nous limiter à uniquement reprendre la parole officielle, mais aussi de faire en sorte que les Sénégalais puissent connaître quelle était leur histoire, qu'ils puissent se dire qu'en réalité, « ça aurait pu être moi, ça aurait pu être mon frère, ça aurait pu être ma sœur ». Et aussi faire en sorte que ce soit en 2050, en 2060, en 2070, qu'on n'oublie pas qu'il s'est passé des choses d'une telle gravité au Sénégal. C'était ça l'idée de Cartogra Free Sénégal. Et c'est pour cela qu'on a rassemblé plus de 40 journalistes et des ingénieurs de données, des statisticiens qui nous ont aidés également à analyser les données obtenues, les résultats sur les certificats de décès, les témoignages, par rapport aux circonstances de la mort, ce qui a permis de révéler, entre autres, que la majorité avait été tuée par balle, par exemple. Et ça, c'était un travail d'histoire, un travail de mémoire, un premier pas pour leur rendre justice.
Cela vous a permis de recueillir les histoires de certaines de ces victimes. Et certaines de ces histoires font froid dans le dos. Lesquelles, selon vous, illustrent le mieux le niveau de ces violences électorales ?
Il y a les tortures suivies de mort de la victime. Il y a aussi des personnes qui sont les plus jeunes parmi les décomptes que nous avons eu à faire. Une lycéenne qui voulait juste aller voir ce qu'il se passait dans le cadre de ces manifestations, qui a été touchée par une balle. Il y a également des cas qui ont été vraiment très tristes, d'autres qui ont traumatisé des familles entières. Et ça, je pense aussi, c'est important. On parle beaucoup de dédommagement financier, mais les victimes sont marquées sur le plan émotionnel avec les personnes qui ont été touchées par balle, qui ont perdu un membre ou en tout cas qui ont perdu leur travail, qui ont été marquées d’une telle manière que ça les handicape dans le cadre de leur vie. Il y a aussi tout ce qui est l'aspect émotionnel par rapport aux tortures, aux sévices qui ont été subis, qui ne sont pas oubliés. Et on s'en rend compte à chaque fois qu'on rencontre des victimes. Elles n'arrivent pas à surmonter et je ne pense pas qu'elles savent qu'il est impératif pour elles de se tourner vers des spécialistes. Il faut aussi que l'État fasse en sorte de les orienter, que ce choc émotionnel-là puisse être surmonté. Il y a la justice qui pourra faire l'affaire, mais il faut aussi des mesures d'accompagnement assez réfléchies.
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